90 milliards € et 800 000 emplois : le modèle Mulliez

Un atelier de filature à Roubaix, au début du XXe siècle. C’est là que commence une aventure familiale devenue un pilier de notre économie. Louis Mulliez et Marguerite Lestienne ont bâti bien plus qu’une entreprise : une véritable galaxie entrepreneuriale dont les enseignes font partie de notre quotidien. Auchan, Leroy Merlin, Decathlon, Boulanger, Kiabi, Saint‑Maclou, Pimkie ou Flunch. Tous ces noms racontent une idée simple : entreprendre en famille, sur le terrain, avec une vision de long terme.

Une puissance discrète mais réelle

Environ 10 % des dépenses courantes des Français passent par leurs enseignes. Cela représente près de 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et environ 800 000 emplois directs et indirects. Une influence qui place le groupe Mulliez au premier rang des entreprises non cotées françaises (Source : Le Monde, données financières publiques des enseignes du groupe).

Mais contrairement à d’autres dynasties économiques, la famille Mulliez cultive la discrétion. Pas de cotation en Bourse, pas d’interviews tapageuses, et surtout une culture de la sobriété bien ancrée. Travailler beaucoup, dépenser peu, transmettre plus : voilà leur ligne directrice.

Un modèle fondé sur la cohésion familiale

L’Association Familiale Mulliez (AFM), créée en 1955, en est le cœur. Cette structure verrouille le capital via un pacte « Tous dans tout ». Seuls les descendants directs de Louis et Marguerite en font partie. Ce pacte impose :

  • l’interdiction de la cotation en Bourse ;
  • un endettement strictement limité ;
  • une bourse interne annuelle de titres ;
  • un conseil de gérance familial doté d’un droit de veto.

Ce système garantit à la fois stabilité et cohérence. Les décisions ne cherchent pas la rentabilité immédiate mais la pérennité. C’est l’exact inverse du court-termisme boursier. Et c’est peut-être ce qui explique leur longévité.

Une gouvernance double pour durer

La clé du modèle réside dans la séparation des rôles. Les présidents familiaux fixent la vision patrimoniale tandis que les dirigeants externes pilotent la stratégie opérationnelle. Cette double gouvernance évite deux écueils : l’entre-soi et la perte de contrôle. Autrement dit : les Mulliez gardent la barre, mais ils ne naviguent pas seuls.

Ce mode de fonctionnement inspire aujourd’hui nombre d’entrepreneurs familiaux. Il prouve qu’on peut rester indépendant tout en s’appuyant sur des dirigeants professionnels. Une harmonie entre héritage et performance.

Une culture de la simplicité et du travail

Pas de jets privés affichés, pas de yachts. Les membres de la famille travaillent dans les magasins, parfois dès l’adolescence. Ils connaissent leurs enseignes de l’intérieur. Cette immersion nourrit un management « de terrain ». Elle rend l’organisation réactive, concrète et proche des équipes.

Les rituels familiaux renforcent cet esprit : formations communes, voyages collectifs, mentorat entrepreneurial, rencontres annuelles. La cohésion se construit autour d’un apprentissage constant et d’une solidarité active. Loin d’un luxe ostentatoire, la réussite s’évalue ici en contribution collective.

Un système centralisé pour une galaxie éclatée

Le family office Mobilis joue un rôle pivot. Il administre les actifs, gère les participations et assure l’équilibre entre les branches du clan. Un véritable hub financier, discret mais ultra-organisé. Là encore, la sobriété prime : moins d’exposition médiatique, plus d’efficacité.

Ce modèle interne produit un effet multiplicateur : chaque enseigne bénéficie du réseau, de la stabilité et du savoir-faire du groupe. C’est ainsi qu’un magistère familial a pu engendrer autant de marques diversifiées, de l’alimentaire au sport en passant par l’équipement ménager.

Les revers d’une réussite

Cette architecture complexe – entre holdings, sociétés civiles et fondations – suscite pourtant des interrogations. Une enquête judiciaire, aujourd’hui classée sans suite, avait exploré les flux financiers entre la France et la Belgique, où nombre de membres sont résidents fiscaux (Source : enquêtes du Monde sur l’AFM). Cet épisode a nourri l’idée d’une opacité structurelle propre aux grands groupes familiaux.

Autre critique fréquente : l’inégalité entre enseignes. En 2024, Decathlon a versé un milliard d’euros de dividendes tandis qu’Auchan préparait la suppression de 2400 emplois. Ce contraste questionne la cohérence sociale du modèle. Cependant, dans la durée, la stratégie de diversification a évité des défaillances massives et permis de sauver des milliers d’emplois en France.

Un recentrage stratégique

Face à la mutation du commerce et à la montée du e‑commerce, la famille a décidé de se concentrer sur ses piliers : la distribution alimentaire, le sport, l’équipement de la maison et la lingerie. Les anciennes enseignes textiles ont été cédées. La logique : consolider ce que l’on maîtrise pour continuer à grandir de façon saine.

À l’international, la galaxie Mulliez poursuit sa croissance. En Russie, elle compte parmi les principaux employeurs étrangers. Cette expansion s’appuie sur des capitaux propres solides et un modèle de gouvernance stable. Une base robuste pour affronter les cycles économiques mondiaux.

Un modèle hybride entre foi, discipline et modernité

L’économiste Bertrand Gobin parle d’un modèle « catholique, paternaliste et redoutablement organisé ». La phrase résume bien l’équilibre paradoxal : une morale du travail héritée du Nord industriel associée à une organisation managériale quasi scientifique. Chaque enseigne illustre cette rigueur. Chez Decathlon, la promotion interne domine. Chez Leroy Merlin, la participation salariale figure parmi les plus généreuses du secteur.

Ce modèle inspiré de valeurs religieuses produit un effet concret : la transmission du sens avant le profit. Ou, pour le dire autrement, une économie du long terme. Dans un monde dominé par la volatilité financière, cette approche patiente agit comme un contrepoids salutaire.

Ce que nous pouvons en retenir

Analyser la saga Mulliez, c’est comprendre qu’un modèle familial peut rivaliser avec les grands groupes mondiaux sans céder à la logique spéculative. Quelques leçons :

  • La gouvernance structure la survie. Sans règles solides, la cohésion s’effrite ;
  • La transmission donne du sens. Former la génération suivante plutôt que la remplacer ;
  • La sobriété protège. Elle limite les dérives de pouvoir et maintient l’agilité ;
  • Le terrain reste roi. Comprendre le client passe par l’expérience directe ;
  • La discrétion est un atout. Moins d’exposition, plus d’efficacité.

Face à la complexité actuelle des marchés, ce type d’organisation familiale – exigeante mais humaine – offre un repère. Loin des fluctuations boursières, elle prouve qu’une vision collective peut créer de la valeur durable et nourrir l’économie réelle.

Louis et Marguerite Mulliez n’avaient sans doute pas prévu l’ampleur de leur héritage. Mais leur pari sur la solidarité, la discipline et le long terme continue de porter ses fruits. Et dans un monde où la rapidité prime trop souvent sur la profondeur, ce modèle mérite plus que notre curiosité : il mérite notre réflexion.


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